Bien accoudée au comptoir, une fois de plus

Il n'était pas rare de voir la jeune femme rôder autour de l'auberge, principalement lorsque celle-ci était pleine. Cette fois-ci pourtant, elle était l'une des seule personnes présente, et comptait bien profiter de ce fait pour rôder plus près encore du sujet de sa présence ici.

Bien installée au comptoir, la louve tentait depuis quelques heures d'obliger l'aubergiste à lui accorder de l'attention.

S'il y avait bien une chose que Clélia Coeur de Chêne détestait (en plus du reste de sa très longue liste!), c'était bien qu'on l'ignore de la sorte.

Éric entraperçu la jeune femme qui venait de s'installer au bar. En temps normal, il l'aurais laissé faire et ne s'en serait pas occupé mais pas alors que ça faisait quelques heures qu'elle voulait du service.

- Donat, merde! Lâche ton miroir, il y a une cliente!

Il la regarda un instant avant de lui adresser un petit sourire ainsi qu'un hochement de tête afin de la saluer.

Clélia éclata de rire, un rire sonore, avant de se retourner vers Éric. Elle lui fit un clin d’œil, accompagné de son habituel sourire bien en dents, et se retourna vers son aubergiste préféré.

La jeune femme agissait ainsi, sans se préoccuper des événements qui s'étaient déroulés dans les mois précédents. Qu'il s'agisse de sa nature lupine qui refaisait surface, ou bien elle lui avait pardonné ses mots, Clélia semblait n'avoir gardé aucune rancune envers le priant d'Ivanorenn.


- Oui Donat, lâche ton miroir et vient servir ta cliente préférée! Tes cheveux peuvent attendre!


Comme elle aimait narguer le narcissique de service, son passe temps préféré ces derniers temps. Comme il l'ignorait toujours, elle continua.


- J'ai de l'argent pour payer cette fois!


Elle sorti divers objets de sa bourse, les regarda un instant, avant de se lever pour rejoindre Éric. Sans y être invitée, elle prit place et déposa sa sa poignée sur une table proche.


- J'ai combien? C'est bien de l'argent, non?


Il y avait si longtemps qu'elle n'en avait pas eu, elle n'en voyait pas trop d'utilité.


(hj: 10 pièces en tout)

Éric se retourna vers elle, un peu étonné de la voir l'approcher. Il se serait attendu à un petit regard ou simplement à rien du tout, mais pas à ce qu'elle ai le voir. Lorsqu'elle fut suffisamment proche, elle pouvait remarquer une ecchymose encore fraiche sur le côté de droit du visage du jeune homme. Elle pouvait aussi voir une cicatrice fraiche légèrement en dessous de son œil ainsi qu'une série d'autres au niveau de son cou. De tout évidence, il avait reçu quelques coups récemment.

Il regarda les pièces qu'elle posa sur le comptoir avant de se retourner vers elle.

- Tu as dix pièces, c'est suffisant pour... bah, pas mal ce que tu veux.

Il jeta un regard à Donat qui semblait encore occupé par les diverses activités de la taverne et soupira alors qu'il compris que le service n'allait pas venir à lui.

- Bon, tu veux quoi? Je vais aller te le chercher.

Clélia, qui observait toujours ses pièces, ne remarqua pas tout de suite l'apparence d'Éric.


- De l'alco...


La jeune femme avait levé la tête et son expression avait changée du tout au tout. Son regard, brillant d'une lueur dangereuse, se fixa sur lui, elle ne souriait plus.


- Qui a fait ça?


Et la voix, aussi tranchante que le regard, avait de quoi faire peur lorsqu'on considérait l'aspect général de Clélia.

Il se leva et se dirigea vers l'arrière du comptoir. On pouvait voir un sourire sur son visage alors qu'il songeait à comment répondre à la question de Clélia. Il se pencha et sortit une bouteille d'en dessous du comptoir. Il prit un verre, l'examina rapidement puis y versa le contenue de la bouteille. Il fit glisser le verre vers elle et retourna s'assoir.

- Bien franchement, on peu simplement dire que c'est moi qui me suis fait ça. Ouais, je crois que c'est plus simple si on garde ça ainsi.

-Non.


Clélia avait attrapé le verre, mais n'y avait pas touché.


- Je veux savoir.


Une voix plus dure, plus tranchante que le métal.

Il soupira profondément avant de pousser un petit rire. Il n'avais pas envisagé à a voir à expliquer tout ça.

- Bon, comment expliquer tout ça...

Tout ce que tu dois vraiment savoir c'est que, certaines personnes sont plus passionnés que d'autres.

Il la regarda un instant, contemplant à quel point le fait de parler à la jeune femme lui semblait irréel.

- Aller, tu viens de la forêt, non? Tu sais à quoi ça ressemble les relations entre les... choses là-bas.

- Quand tu fais du mal à quelqu'un, c'est normal que l'on te fasse du mal, non? C'est la même chose, j'ai fait du mal à quelqu'un et je l'ai payé. La seule différence, c'est que j'ai demandé à être punis, tu comprends.

Il avala rapidement son verre, espérant que cette réponse fasse changer le sujet avant que tout les gens présents commencent à écouter.

- Tu sais quoi, on va arrêter la conversation là. Si tu veux vraiment en entendre plus, on se parlera un autre jour, quand il n'y aura pas tant d'autres gens présents.

Parles-moi donc un peu de toi, comment ça va sur les terres de Raphaël?

Il espérait vraiment que ça lui suffirai afin de changer le sujet, il n'avais vraiment pas envie de s'attarder là-dessus avec elle.

Il soupira profondément alors qu'elle accepta de changer de sujet. Enfin, se disait-il. Il la regarda un instant avant de prendre une grande respiration. Pourquoi pas? Après tout, il pouvait bien parler un peu, ça ne leur ferait pas de mal.

- Tu sais, je ne crois pas que j'ai vraiment eu l'occasion de te connaitre.

il lui tendit la main.

- Je suis Le rempart, un élève du Bastion, l'une des personne à la tête de la guilde du protecteur. Tu peux m'appeler Eric, je crois que c'est plus simple comme nom.

Il lui souris, espérant qu'elle lui réponde avec autant de bonne volonté.

- Et... Tu fais quoi dans le nord? T'es ici depuis le début, non?

Il cherchait désespérément un sujet qu'il pourrait aborder. de toute évidence, parler n'était pas son fort.

- J'imagine tu as grandit dans les bois, c'est bien ça? Ça ressemble à quoi, une vie isolée du monde?

- Pas vraiment, je ne crois pas y être déjà allé. Ça ressemble à quoi?

La voyant descendre son regard, il détourna le sien aussi, lui laissant un peu d'intimité.

- C'est pas une question de ne pas respecter la forêt, c'est plutôt de se faire respecter par celle-ci. C'est difficile de négocier avec des créatures qui, parfois, ne pensent presque pas. Quand on me menace d'une arme, je sais à quoi m'en tenir alors que lorsque je rencontre un grand lézard dans le bois, je ne sais pas quoi ce qui m'attend.

Le sourire de Clélia s'étira davantage.

- La Vallée Effeuillée est un endroit merveilleux. Très peu d'humains s'y aventurent, mais j'avais cru comprendre que ceux qui vivent près la connaissent. Des arbres, à perte de vue, des proies en quantités plus que suffisantes même pour la meute importante que nous étions. Et la rivière, une rivière, parfois douce, parfois mortelle, qui parcours la vallée entière, qui la sépare en deux. Notre tanière était tout près d'elle.


Elle ramena son regard vers le Rempart, ses yeux perçants, comme lorsqu'elle savait quelque chose que son interlocuteur ignorait.


- La forêt est aussi dangereuse de protectrice, aussi traîtresse qu'alliée. Si on veut y survivre, il faut apprendre à la connaître. Tout est une question de territoire. Bien sur, si on s'aventure sur le territoire d'une autre créature, il est normal de se faire attaquer, ou au moins menacer. Je vais la même chose sur le mien. Les autres habitants ne m'en veulent pas, et je ne leur en veut pas lorsqu'ils m'attaquent, si je suis chez eux.


Elle ne faisait pas de rondes nocturnes pour rien.


- Et toi? D'où viens-tu?


Elle ajouta, un rire légèrement moqueur dans la gorge.


- C'est comment, de vivre dans la... civi.. civilisation?

- En fait, je ne sais pas trop d'où je viens. J'ai été adopté par le Bastion alors que j’étais très jeune et je ne me souviens pas d'avant ça. J'ai pas mal toujours connu l'église et les quelques bâtiments qui l'entour. Disons que je ne suis pas vraiment celui à qui tu dois parler si tu veux savoir comment ça va dans les grosses villes.

Il se mit à rire lui aussi, en réalisant que, malgré tout, leur histoire n'était pas si différente.

- C'est bien la civilisation, ça crée une grande famille et ça permet de rencontrer des gens. Je ne crois pas que je pourrais vivre seul et donc, je ne peux pas être contre.

Il pris la bouteille qu'il avait laissé sur le comptoir et remplis son verre.

- Ça, je ne peux qu'être en accord avec toi...

Il prit une gorgée de son verre, savourant l'instant où il n'avait pas à parler.

- C'est quoi ça, le "Malètre"? Une créature de la forêt?

Clélia cligna rapidement des yeux, perplexe, avant d'éclater de rire.


-Non! Non, pas du tout.


La louve prit rapidement une gorgée avant de poser ses mains jointes sur la table. Elle y était à demi étalée, visiblement à son aise.


- Le mal être, c'est quand on est seul. C'est quand on veut mourir, parce que ça fait mal. C'est... c'est quand tout le monde meurt et qu'on veut mourir aussi.


Clélia essayait tant bien que mal de décrire la sensation, chose qui lui posait problème.


-Le mal être, c'est... un mal de l'esprit.


Du moins, c'est comme ça qu'on lui avait expliqué.